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 cartographier les villages palestiniens

effacés et remplacés par des villes juives

 

Tom Pessah

© Activestills

Cet article a été initialement publié en anglais sur le site du Magazine + 972, il est consultable ici.

Il est peu probable que les nouveaux arrivants en Israël connaissent le nom "Mlabes", mais ce mot est familier aux Israéliens. Après tout, c’est le nom d’un journal local, d’un jeune chanteur, d’un restaurant de shawarma et d’une section des Scouts israéliens.

Tous ont quelque chose chose en commun: ils font référence à la ville de Petah Tikvah, au Nord de Tel-Aviv. Selon le site des Archives municipales de Petah Tikvah, Mlabes était le nom du village qui existait avant l’établissement de la ville. Il apparaît sur la carte qui servit à l’armée d’invasion napoléonienne aux alentours de 1799. On trouve des traces archéologiques de sédentarisation dans cette même zone durant l’ère byzantine, aussi bien qu’au temps des Croisades.

Une célèbre chanson de l'iconique chanteur israélien Arik Einstein mentionne comment le village fut visité par des pionniers sionistes en 1878. Selon la chanson, pas même un oiseau ne chantait dans ces marécages, mais grâce à leur persévérance, ces pionniers fondèrent Petah Tikvah, le premier "moshav" sioniste (du mot hébreu signifiant "colonie").

Et Mlabes alors ? Selon les Archives municipales de Petah Tikvah, les propriétaires fonciers voulurent se débarrasser de leurs terres à cause des conditions météorologiques défavorables, des inondations et des marécages. Ils les auraient alors vendues, apprend-on toujours sur le site. Et Mlabes disparu du récit. 

Avance rapide: Janvier 2017.

Les Bédouins établirent le village de Umm el-Hiran en 1956 à l’Est de Beer Shéva, après avoir été déplacés de leurs terres originelles par le gouvernement militaire israélien. Aujourd’hui, Israël tente à nouveau de les déplacer dans le but de remplacer leur village par une ville juive. La police a pénétré dans le village surarmée, assassinant un professeur de maths apprécié de tous, Yacoub Abu al-Qi’an, alors qu’il tentait – selon les témoignages – de récupérer des effets personnels dans la maison de son fils sur le point d’être démolie. Al-Qi’an a visiblement perdu le contrôle de sa voiture après avoir été abattu, heurtant un officier de police. L’officer et al-Qi’an sont tous les deux morts – ce dernier après s’être vu refusé les premiers soins vitaux.

Mais qu'on en commun ces histoires de Mlabes en 1878 et d'Umm el-Hiran en 2017?

Tous deux font partie d’un processus long et progressif de remplacement des localités palestiniennes en localités réservées pour les Juifs, tout cela dans la logique de l’idéologie sioniste. Grâce au travail, notamment, de l’ONG israélienne Zochrot, qui tente d’éveiller les consciences sur la Nakba, les Israéliens sont beaucoup plus conscients aujourd’hui du caractère fondateur de ce processus qui survint durant la guerre de 1948. Mais demeure une tendance à percevoir la Nakba comme une « catastrophe » isolée issue d’une guerre: le processus de spoliation sur le long terme est encore ignoré.

Même l'incontournable site internet « Palestine Remembered » - qui fournit des détails sur les villes et villages palestiniens qui furent dépeuplés de leurs habitants – se concentre presqu'exclusivement sur les localités détruites pendant la Nakba en 1948.

Une nouvelle carte, éditée par l’ONG israélienne De-Colonizer, tend à pallier cette lacune.

La carte dispose en effet de plusieurs strates, chacune marquée par une couleur différente. En bleu, les cinquante-sept localités palestiniennes détruites entre 1878 et 1948, quand les sionistes rachetèrent des terres et les vidèrent de leurs exploitants/ habitants / travailleurs palestiniens dans le but d’offrir aux colons juifs un espace absolument vide. Certains de ces exploitants reçurent des compensations, beaucoup furent conduits hors de la zone par les autorités administratives après que les acheteurs sionistes eurent conclu des accords avec les propriétaires étrangers de ces mêmes terres.

Marquées par des étoiles bleues, dix-huit localités juives qui furent également détruites durant les révoltes qui éclatèrent périodiquement en réaction à la colonisation sioniste, en particulier en 1920, 1929 et 1936. De fait, la carte cherche à montrer que le projet intense de destructions a également affecté les Juifs, y compris des membres des communautés juives pré-sionistes, tels que les Juifs d'Hébron par exemple.

Cette strate pré-1948 inclut également de curieuses flèches qui révèlent un autre aspect oublié de l’histoire : les quarante-six initiatives de non-agression entre des localités juives et palestiniennes en 1947-1948. Ces accords étaient destinés à protéger les deux parties des conséquences du conflit et des déplacements éventuels. Par exemple, les villageois chiites de Hunin s’opposèrent aux attaques contre leurs voisins du kibboutz de Manara et refusèrent de coopérer. Le village, au même titre que les autres villes et villages de Galilée orientale, fut néanmoins épuré lorsque les forces du Palmach d'Yigal Allon prirent la zone en 1948. Selon l’historien israélien Benny Morris, la prise de Hunin impliqua massacres et viols.

L’épisode de Hunin met en lumière la seconde strate de la carte – les localités marquées en rouge. C'est au total 615 localités palestiniennes qui furent détruites par les forces sionistes entre 1948 et 1952, durant la Nakba, lorsque la majorité de la population palestinienne du pays fut expulsée au prétexte de la guerre. Cette strate inclut également les vingt-six localités juives détruites durant la guerre par les armées d’invasion arabes.

Les localités marquées en vert, détruites durant la guerre de 1967 et par la suite, révèlent un chapitre peu connu de l’histoire : les 194 localités syriennes détruites durant le nettoyage ethnique du plateau du Golan, quelques jours après sa conquête en 1967. L’expulsion des quelques 130 000 Syriens qui s’en suivit est toujours un tabou en Israël, au même titre que la Nakba jusqu’il y a peu. Peu connaissent les noms des villages dont les ruines peuvent toujours être observées de nos jours dans le Golan.

Cette dernière strate inclut également les onze villages palestiniens détruits pendant la guerre et par la suite, de même que les cinquante-quatre localités palestiniennes situées dans la vallée du Jourdain et sur les hauteurs sud d’Hébron, qui, selon l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, sont menacées de destruction.

Enfin, soixante-quatre autres localités palestiniennes dans le Sud et le Nord du pays, y compris Umm el-Hiran, demeurent non-reconnues par Israël. De fait, elles n’apparaissent pas sur les cartes officielles, manquent des services et infrastructures basiques, et beaucoup d’entre elles sont menacées de destruction. La carte de De-Colonizer peut nous aider à anticiper la future éradication de localités palestiniennes.

Contrairement à ce que prétendent la chanson d’Arik Einstein et les cartes avec lesquelles les Israéliens ont grandi, qui encensent l’épopée triomphante de la colonisation sioniste, la carte de De-Colonizer expose la part sombre de la société israélienne, et le processus continu de déplacement forcé des Palestiniens (et des Syriens) par l'attribution et l'exploitation de terres réservées à l'unique population juive.

Sans une intervention internationale significative, écrivent les auteurs de la carte, il y a toutes les raisons pour de penser que ce processus se poursuivra.

La nouvelle carte de De-Colonizer, “Colonialisme en destru(A)ction”, est displonible ici.

Tom Pessah est sociologue et militant.

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